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Au bord de Lo

22 décembre 2008

DO NOT Burn after reading

L'autodérision est la vertu des grands hommes et peuples. Ainsi en est-il des frères Coen, trop heureux de se moquer sans équivoque de la bêtise crasse et des ravages de l'ignorance de leurs chers compatriotes.

Ou plutôt, une femme à la quarantaine complexée, prête à tout pour financer son plan de rajeunissement esthétique, rejeté sans ambages par une mutuelle privée peu enclin à jouer au Père Noël ; un coach sportif, coupe en brosse sur tête peu lestée, préoccupé d'hydratation et de sculpture du corps ; un ancien espion débauché sans égards et rédigeant des « mémoires » revanchardes ; et le beau Clooney en lâche séducteur de banc public aux précautions sanitaires exacerbées.

Mettez-y une disquette égarée portant trace des info des susdites Mémoires, mélangez le tout dans un shaker bourré à la menace terroriste et au culturisme affligeant, et vous obtenez cette charge à l'humour aussi caustique qu'efficace, qui passe au kascher les préjugés et la société de l'américain moyen, trop occupé à sa plastique pour s'intéresser à quoi que ce soit d'autre. Ces personnages potages, à mille lieux du culte, sont taillés pour rire, et pour être oublier aussitôt, comme le laisse entendre le titre. Dossier classé. Pour une fois les agents de la CIA touchent juste.

Reste une performance qui relève avec brio la gageure de bâtir une comédie classique qui, comme dit l'autre, sait enseigner par le rire. Est-ce là le testament d'une Amérique qui disparaîtra avec le changement de gouvernail présidentiel ? Au moins est-on en droit de l'espérer...

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13 décembre 2008

Lola Montès, tragique égérie

Au XIXe siècle, les danseuses et les actrices faisaient chavirer les cœurs des jeunes âmes romantiques sur les scènes du monde entier. On se défiait les uns les autres pour laver l’honneur de sa déesse, vilipendée par quelques malotrus sur les grandes scènes des capitales. De cette gloire sans égal et sans lendemains des femmes de théâtre, Max Ophuls a tiré une œuvre cinématographique qui par un prodigieux effet de miroir fait à son tour chavirer les cœurs des spectateurs de ce film consacré à la vie frivole, grandiloquente et tragique de la belle Lola Montès.

Le spectacle commence, sous la férule du maître de cérémonie, narrateur de la grande geste de Lola Montès, et les tableaux s’enchaînent sans fausses notes, tous plus grandiloquents les uns que les autres.

Les plans admirablement construits dans cette immense nef d’un cirque dans laquelle paradent Lola et le fol caravansérail des nains, hommes sans tête et jongleuses laissent paraître les deux visages de cette farce proposée aux spectateurs tenus dans une obscurité persistante qui fait écho à la salle d’un cinéma. La vie débridée et les brillantes conquêtes côté scène, et la tragédie des revers et des désillusions côté jardin, Lola se livrant en spectacle sous les immenses lustres, comme si de rien n’était, allant allègre sur la corde raide, chevauchant hardiment le cheval, passant ainsi de bras en bras jusqu’à gagner les cœurs les plus illustres de cette Europe balayée par les révoltes et les révolutions dont elle n’a que faire. Car le spectacle prime, le spectateur se pâme au récit des folles aventures, ne sachant rien du drame qui se jour. Car Lola souffre, étouffe, pâlit mais ne renonce pas, fidèle à l’audace et à la déraison qui ont guidé son existence, relevant avec une témérité indécente les fis les plus dangereux, jusqu’à replonger, la peur au ventre, vers l’inconnu, la déchéance, le vide. Tous ces dangers bravés pour quoi ? une mise en cage à laquelle, tel un animal de foire extraordinaire, viennent se prosterner les théories émoustillées des mâles émus devant un tel assaut d’impudeur et de libertinage.

Certes, la vie est amère, le destin tragique, l’envers désolant. Or, le spectacle se clôt et le plaisir est entier, extraordinaire et nous n’aurions pas d’autre souhait quand le rideau se referme que de nous joindre à la file des admirateurs pour baiser nous aussi la main de cet artiste contre une modeste obole.

Les grandes tragédies font les grandes œuvres, une fois encore. La sortie en salles de ce chef-d’œuvre, cinquante ans après une première qui fit flop, n’est que justice rendue.

24 novembre 2008

Home Cinéma

Il est des films qui vous éblouissent comme un rai de soleil braqué sur des yeux pétris d'obscurité.

Home en est, sans conteste. L'incroyable plongée tragique dans le destin d'une famille posée au bord d'une autoroute abandonnée, la grande délicatesse chromatique des plans qui suivent la lente agonie familiale, et la révélation de l'impasse d'une réclusion au monde font de ce film l'esquisse brillante d'un chef-d'œuvre.

Aux deux-tiers du film, Huppert approche, de dos, un oreiller tenu ferme entre les mains, pose un genou sur le matelas, avance vers son mari assoupi et l'étouffe. Il s'agite tant et si bien qu'il se libère de l'emprise. Elle se redresse, il reprend souffle, elle regarde dans le vide, comme si de rien n'était. Elle entendait encore un peu de bruit. Le personnage incarné magistralement par Huppert a sombré depuis longtemps dans la folie. Lui ne veut rien entendre. Il fait la sourde oreille, comme toute la famille d'ailleurs, qui finit par se calfeutrer dans leur maison aux fenêtres emmurées et aux portes scellées, enfermés volontaires pour ne plus entendre le bruit incessant des voitures filant à pleine vitesse sur l'autoroute à quelques mètres de là. Car la mère n'envisage pas la vie ailleurs; toute fuite est impossible.

Autrefois, pourtant, cette portion sans bornes de mauvais bitume avait des airs de route du paradis. La petite famille y vivait son bonheur, loin de tous, hors du monde, îlot familial perdu au milieu des champs. Avec l'autoroute pour terrain de jeu des enfants, et pour seul décor. Puis les agents de recouvrement sont arrivés, ont cerclé de fer la quatre fois quatre voies, ont collé une belle couche de goudron et peinturluré le tout, avant que n'apparaissent les premières voitures, et le barnum qui va avec. Rien n'alla plus, on finit par se recroqueviller, jusqu'à l'étouffement.

Dans cette univers clos et suffoquant, les êtres suent, délirent et se droguent pour supporter l'inhumain. Avant que la mère ne se résolve dans un ultime sursaut de clarté à ressusciter la famille, dans un effort physique écho du travail d'accouchement. Elle rompt à coups de pique les parpaings de l'entrée, avec entêtement, malgré l'épuisement et la douleur, laissant enfin percer une soudaine clarté à l'intérieur de la maison. Le plus dur est fait, le soleil tire les êtres de leur fatale torpeur. Il ne leur reste qu'à fuir définitivement de cette bouche de l'enfer. Ensemble, ils abandonnent leur ermitage pour renaître à la vie et au monde.

9 novembre 2008

Les routes accidentées

Sur ces routes étroites, où affleurent au gré des affres du macadam des touffes de mauvaises herbes, tracées à grands traits à flancs de montagnes, tranchées lisses à travers les bois et les pâturages, Raymond Depardon promène sa caméra comme un archéologue fouille les civilisations perdues, à la recherche des (derniers?) paysans des moyennes montagnes françaises. On produit bien, mais si peu qu'il semble ne plus en valoir la peine. Le spectateur a l'impression de plonger dans la France de la Troisième République, où l'agriculture et la paysans régnaient encore en maître : le temps semble s'être figé. Les mêmes vêtements hors d'âge, ces blouses à carreaux, ces chemises boutonnées jusqu'au col, ces toiles cirées qui gondolent sur les tables, une boîte à sucre posée au milieu. Et cette vie simple qui s'agite alentour, sans un bruit, sans un mot même, oubliée de tous ; parce qu'ils se laissent oublier aussi.

Une vieille télé en noir et blanc laisse filtrer une image brouillée de l'agitation extérieure. Des femmes viennent s'enticher de rustres célibataires et perturbent l'ordre quasi sacré de l'exploitation agricole, quelques enfants aussi. Malgré cela, la broussaille s'étale sans pudeur, les vaches s'avachissent pour mourir, le maquignon emporte les bêtes, et les êtres vaillants, quatre-vingt ans au bas mot, doivent renoncer à suivre leur troupeau sur ces pentes accidentées.

Et pourtant, sont-ils aussi égarés qu'on voudrait le croire ? Qui est au musée, eux ? Nous ? Cette vie en apparence archaïque masque la modernité d'un rapport à l'existence qui manque cruellement parfois au citadin que je suis, que nous sommes... Cette poésie de la simplicité, sans naïveté ni béatitude affectée, que ceux qui comme Depardon, Virgile et d'autres ont touché un jour à la vie dans la campagne profonde, s'entêtent à vouloir retrouver un beau jour. Alors, ils s'embarquent sur ces chemins vicinaux au parcours accidenté, en quête à travers ce long lacis aux angles morts et aux parapets vermoulus d'une vérité, d'un sens dont une part réside sûrement là, au bout du chemin, au milieu de ces montagnes.

Je voudrais un jour vous entretenir moi aussi de La Vie Moderne de mes aïeux des montagnes du sud de l'Italie. Ici ou ailleurs, mais en mots, oui.

2 novembre 2008

Les Dédectives sauvages, Roberto Bolaño

« … pendant que le Mexicain égrenait dans un anglais parfois incompréhensible une histoire que j’avais du mal à comprendre, une histoire de poètes perdus et d’œuvres sur l’existence desquelles personne ne savait un traître mot, au milieu d’un paysage qui était peut-être celui de la Californie ou de l’Arizona ou d’une autre région mexicaine limitrophe de ces Etats, une région imaginaire ou réelle, mais décolorée par le soleil et à une époque ancienne, oubliée ou qui du moins ici à Paris, dans les années soixante-dix, n’avait plus la moindre importance. Une histoire dans les extra-muros de la civilisation, lui ai-je dit. Il a dit oui, apparemment, oui, oui, oui. »

Roberto Bolaño se complaît dans les marges de la civilisation et mène l’enquête, à travers une foultitude de personnages, sur une obscure école poétique mexicaine taxée de viscréaliste. Enquête double, à vrai dire. Celle que mène les deux héros maudits de cette saga d’un genre, Arturo et Ulises, à la quête des racines de cette école dont ils sont devenus dans les années 1970 les fers de lance, sur les traces de la mère de tous les poètes, cette Césarea perdue au milieu du désert de Solana – quête qui embrasse le roman de part en part. Entre, la seconde enquête, confiée à d’autres invisibles détectives sauvages, sur les traces maintenant des deux poètes fugitifs, contraints à un exil forcé après une sombre histoire de meurtre à laquelle les a menés cette recherche obstinée des origines. Une errance longue, lointaine, illogique à bien des égards, à suivre au hasard des amours, des espoirs, des errances et de la quête du sens qui échappe pas après pas, page après page.

La prose laborieuse, accrochée viscéralement au réel, de Bolaño se colle frénétiquement aux multiples personnages qui viennent dire leurs souvenirs des deux héros croisés un temps sur le chemin de leurs errances respectives, le plus souvent séparés l’un de l’autre. Israël, Espagne, France, Mexique, USA, Libéria, Autriche et d’autres encore, dans un tourbillon insensé que l’auteur s’efforce de démêler et d’enrober par un style oral, hésitant, ému qui dépeint par le jeu subtil des portraits croisés la complexité irréductible et la profonde humanité de ces deux personnages, derniers rejetons d’une branche cassée, d’une poésie oubliée de tous, comme anachronique (cette scène splendide du duel à l’épée entre Belano et la critique potentielle), témoin d’une noblesse de cœur et d’esprit que le monde, la société semblent vouloir à tout prix corrompre, réduire à l’existence ordinaire (comme bien des viscéralistes au fil des années) ou neutraliser dans la folie ou la marge (le vieux Quim interné, la fuite de Césarea).

De Césarea, justement, il reste quelques poèmes, énigmatiques, comme l’est l’existence. L’un dépeint la route cabossée, sinueuse, voire renversante de l’être au cours de la vie. Ou l’habile mise en abîme de la destinée de ces personnages qui se refusent à abandonner l’idéal pour le prosaïque, prêt pour cela à s’accrocher viscéralement à ce qui est leur vérité, leur réalité. Une certaine idée de la vie, l’amour comme inexorable (Ulises et Israël), la poésie comme philosophie, et le monde comme décor. Au terme du voyage, il y a l’espoir de la liberté : cette fenêtre percée de toute part, prête à tomber, bien sûr ; et ce dernier affront fait à la vie, dans un Libéria dont le nom masque mal la mort en embuscade.

Si ces poètes ont peut-être échoué, un autre, soyons-en sûr, a réussi. Et de quelle manière.

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30 octobre 2008

Ronit Elkabetz, mon trésor

Il est des trésors cachés que la caméra sublime magnifiquement. Discrète, effacée, toute en retenue dans les Sept Jours, elle irradie dans Mon Trésor, Prendre Femme et La Visite de la fanfare.

Un fil lie ces trois derniers films, celui de la femme déchue, loin des strasses d'un cinéma trop heureux de porter aux nues des destinées héroïques. Non, Ronit semble leur préférer les êtres frappées par la tragédie ingrate d'une triste et désolante destinée: une pute gamine et mal fagottée, une mère au foyer frustrée et vidée, un pauvre hère abandonné dans une cité-dortoir déserte. Ronit est là, splendide, maquillée au rouleau de peinture, habillée avec une vulgarité soignée, mâchonant une vieille gomme ou fumant une clope d'une main désinvolte, seule, tragiquement seule, au bord manifeste de la crise de nerfs. Et pourtant elle irradie ; de cette beauté ardente, parce que sauvage, indomptée. Ses cheveux de jais, son regard brûlant, son corps quelconque et pourtant atrocement séduisant. Elle est de ces images qui vous inspirent et à laquelle on aspire.

Mon Trésor est un film fort sur les relations mère-fille, une vision sombre d'une filiation, celui d'une fille qui marche dans les pas, hésitants et boiteux, de sa mère. La Viste de la Fanfare appartient au genre de la fable, une paranthèse de poésie, saturée de silences lourds, de paroles muettes, d'attentes interminables et de rencontres inprobables dans cette ville perdue du désert israélien. Deux soleils s'y affrontent et miroitent sur l'écran, celui du ciel, et Ronit.

25 octobre 2008

Dernier maquis ? (Rabah Ameur-Zaïmeche)

Peut-on raisonnablement échapper à la logique capitaliste ? Vraisemblablement, non.

Le peintre avance masqué, son fusil eu main, pour teinter de rouge les palettes de bois brut – une illusion, le geste ne fait qu’effleurer la surface.

Quels que soient les subterfuges employés – la construction d’une mosquée, la solidarité ethnique et religieuse, la bonne humeur affichée par Mao l’affable patron – la logique du fric fait fi des nuances et s’impose à tous, élites des centres-villes ou marginaux cachés sous le maquis.

Et pourtant nous sommes là au pied de l’échelle, dernier maillon d’une société où sont confinées les minorités africaines, contraintes d’accepter les rebuts de l’emploi que personne ne veut ramasser. Des blacks, des beurs, deux blancs, un géant, tous plus ou moins musulmans, tous plus ou moins exploités, tous durs à la peine et dignes dans le sale boulot.

La logique finit par créer des ravages, fatalement. Aussi implacable que ces assemblages rouge vif de palettes posées les unes sur les autres, parfaitement imbriquées. Le mur est infranchissable. L’imam imposé pour manipuler les salariés et les convertir – à quoi ? ; le licenciement expéditif des deux manœuvres après calcul des derniers comptes hebdomadaires. Croire ou non, peu importe, puisque l’argent croît.

Mêmes les plus miséreux finissent par se haïr et se jalouser, sur fond de tensions communautaires blacks/beurs. La révolte s’empare d’une poignée d’entre eux, qui occupent l’entrepôt, passent à tabac le patron et bâtissent hâtivement un frêle mur de palettes.

             Serait-ce l’espoir sublimé dans un dernier plan magnifique de la Révolution rouge sang du petit prolétariat oublié et résolu enfin à sortir du maquis ?

23 octobre 2008

Biutiful Cauntri

Les yeux à terre, la bêche branlant inutile entre ses deux bras frêles, le vieil homme sanglote, silencieux, face à son lopin de terre. Quelques pieds de tomate rabougris, des salades vertes, d’autres légumes, plus loin. A l’arrière plan, une immense palissade de béton cache la déchetterie.

Dans la région de Caserta, quelques-uns meurent assassinés, beaucoup meurt empoisonnés. La terre nourricière leur est fatale, polluée par les millions de tonnes de déchets que les industriels du Nord et d’ailleurs viennent consciencieusement déposer, à l’abri du jour, dans les moindres recoins de terre, au bord des routes ou au milieu des champs, conformément aux indications diligentes d’une mafia sure d’avoir trouvé là une rente de situation. On produit dans le Nord, on pollue à peu de frais dans le Sud, en arrosant au passage les pouvoirs locaux pour éviter de recycler à prix d’or les déchets trop toxiques. Depuis des années, et sans grand émoi. On n’aime pas se plaindre, dans cette portion de l’Italie. Et puis se plaindre à qui, quand tous sont coupables.

Quand la place vient à manquer, que les terrepleins qui bordent les voies croulent sous leur charge pestilentielle, on brûle par une belle nuit le tout, délestant le sol pour mieux charger l’air de particules riches en dioxine et autres substances cancérigènes.

Et les buffles, les agneaux, la faune et la flore tout entière de s’en trouver contaminés. On jette les cadavres ramassés au petit matin dans de grands sacs plastique noirs, pudiquement, la honte crevant les visages. Les vieux, eux, meurent en silence. Là, la terre donne la vie et la mort sans distinction.

Le vieillard sans le sou finit par ramasser quelques tomates pour préparer le suco des pâtes. Trop mûres, elles éclatent entre ses doigts et laissent perler déjà quelques gouttes d’un jus épais comme le sang.

20 octobre 2008

Contre-jours

Il est accoudé à la rambarde de la fenêtre, silhouette noire dans l’obscurité de la cour, là en face, légèrement décalé sur la droite. La lumière de la cuisine (est-ce la cuisine ?), blanche, en dessine les contours. Une cigarette à la main, il perd son regard dans le fond de la cour, sans prêter attention. Il aime se pencher ainsi, l’esprit au vent, le temps d’une clope, avant de se soustraire à nouveau à ma vue. Il a une quarantaine d’années. Il part tôt, le matin.

A côté, bien en face, les stores blancs sont tirés. Un mince filet blanc laisse soupçonner la présence de la jeune demoiselle.

A gauche maintenant, nuit noire. Le chat dort, derrière le mince rideau de tulle bleu. Autre demoiselle. Une noctambule à qui suffit une lumière tamisée.

Les deux se confondent dans mon esprit. Elles sont arrivées il y a peu, à quelques semaines près, cet été, seules, me semble-t-il. Et jeunes, étudiantes surement. Bien que succincte, leur beauté devinée semble bien réelle.

Je ne les ai pas croisées, là en bas, dans la cour. Pas encore.

Au début du mois, on discutait entre voisins au pied de l’escalier. Une splendide demoiselle a filé sous mes yeux (splendide apparition, en vérité, mais je m’enthousiasme vite), je n’y ai reconnu aucune de ces deux silhouettes.

Trois opportunités. Je vous raconterai, si jamais.

Sous le chat à la fenêtre, celle, opacifiée, entrouverte toujours, éclairée, de la cuisine. A gauche, la double et grande fenêtre du salon (mais est-ce le salon ?), fermée aujourd’hui, qu’un épais rideau de toile crème aveugle de part en part. Eux non plus je ne les croise jamais. Une femme, je crois, aperçue par hasard refermant une seconde la grande fenêtre. Un homme aussi, peut-être, ses mains qui s’agitent parfois dans l’entrebâillement de la fenêtre de la cuisine, au-dessus de l’évier adossé au mur. Jamais je n’ai vu ces deux fenêtres ouvertes depuis que j’habite l’immeuble. Ils s’accommodent bien à l’abri de la lumière du jour.

Le verrou claque, la lourde porte coulisse. Une, deux secondes, et la lumière éclate dans la cour. Un quidam passe furtivement avant que la nuit n'irradie à nouveau.

19 octobre 2008

Vicky, Cristina et les autres...

Comment dire, je fus tout de suite agacé.

Contrarié par ce déluge de fric, de frocs de marques, de caisses de luxe et de taxis hélés, de banquets chics, de cocktails à prétexte artistique et de baraques cossues et haut perchées sur les collines de la capitale catalane qui forment l'écrin aristocrate de la dernière comédie de Woody Allen. A croire que seuls les riches peuvent s'offrir à coups de carte de crédit des histoires passionnées et donc passionnantes.
Mais là n'était pas le seul cliché. Le décor, bien sûr, mais aussi les corps. L'artiste, avec un grand A, et ses états d'âme, ses accès de violence, ses gestes frénétiques qui couchent sur la toile maculée la tragédie égotiste d'une destinée contrariée, celle d'un Javier magnifique qui aime par-dessus tout à utiliser la palette entière des charmes féminines. Dont Cristina, américaine déboussolée, réalisatrice sans avenir, poétesse sans mot, photographe à son insu et actrice éphémère, qui se laisse séduire par le grand et beau mâle castillan. On la comprend.
Voilà pour cette bluette aux allures de carte postale catalane, ce récit des amours contrariées, banales et prévisibles, qui nous balade entre les hésitations touchantes de la superbe Vicky, le ménage à trois de la pauvre Cristina et les frustrations de l'amphitryon trop âgée.
Mais il y a Maria-Elena, et l'écran s'en trouve, à mi-chemin, soudain enchanté. Cet air sauvage, ces cheveux de jais, ce regard irrésistible et ce caractère affreusement séduisant, voilà qui sauve le film, et me rappelle à cette magnifique castillane avec qui j'avais partagé un temps ma vie, il y a quelques années de cela, quand je venais d'arriver à Paris. On avait créché un temps ensemble, ou plutôt m'avait-elle concédé l'usufruit temporaire de sa couche king-size qu'elle se refusait à occuper seule, altruiste et dévoreuse d'homme qu'elle était. Elle ne peignait pas, elle, mais elle étudiait les hommes, apprenti ethnologue de son état, intéressée par la danse qu'elle pratiquait avec une débauche de sensualité. Je l'avais rencontrée dans une boîte latino, du reste, et son déhanché m'avait contraint à hasarder quelques mauvaises passes pour la faire choir dans mes bras. Mauvais danseur je suis encore, mais cela suffit alors pour m'établir dans son refuge un temps.
Elle aussi avait un grain de folie. Terriblement séduisant, terriblement épuisant. Défait et en mille morceaux, je finis par évacuer les lieux, poussé dehors par un coup de balai , emporté au milieux d'objets divers que je conserve comme de précieuses reliques de cette parenthèse enchantée. Mais, soyez rassurée, pas le moindre coup de couteau échangé, on se quitta brusquement, mon âme en peine mais sain de corps. Qui sait, peut-être vous entretiendrai-je plus en détails de tout cela une autre fois.
Pour aujourd'hui, basta.

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